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Six pieds sur Terre

Entretien avec le réalisateur Karim Bensalah

Tout repose sur une histoire de rencontres : celle de Karim Bensalah avec l’Acap et toutes celles qu’il a permises à travers son engagement auprès des jeunes en tant que cinéaste intervenant depuis plus de 20 ans. Aujourd’hui, il se dévoile davantage dans son premier long métrage Six pieds sur Terre, racontant l’histoire de Sofiane, un personnage qui se découvre grâce aux rencontres.

Synopsis du film :
Sofiane, fils d’un ex-diplomate algérien, a beaucoup voyagé. Installé à Lyon pour ses études, il est victime d’une décision administrative et vit sous la menace d’une expulsion. Dans l’espoir de régulariser sa situation, il accepte de travailler pour des pompes funèbres musulmanes. Entre les fêtes, les rencontres et son emploi, Sofiane va se découvrir dans un parcours initiatique qui le conduira à construire sa propre identité et passer peu à peu vers l’âge adulte.

D’où vient l’histoire de ce film, le portrait de ce jeune homme ?

J’ai voulu sortir de la vision misérabiliste de l’émigré, celui qui se bat uniquement contre la machine du rejet. Mon intention était de créer un personnage complexe, avec des amitiés et des relations amoureuses, sans que son rapport à la religion soit au centre du film. Sofiane est un étudiant qui perd ses papiers et commence alors un parcours initiatique. C’est un étranger parmi les étrangers, issu d’une classe aisée, qui se retrouve dans un milieu musulman auquel il ne s’identifie pas. Fils de diplomate, il a grandi un peu partout et nulle part à la fois. Ce sont les rencontres qui vont lui permettre de se repositionner dans sa propre vie.

Quelle interaction y a-t-il entre le personnage de Sofiane et vous ?

Je suis moi-même fils de diplomate. Ce n’est pas mon histoire personnelle, mais il y a beaucoup de moi dans ce personnage et dans d’autres du film. Comme Sofiane, j’ai eu des problèmes de papier et j’ai dû faire des boulots que je ne voulais pas. Tout comme lui, les rencontres ont jalonné mon parcours. J’ai aussi ressenti la peur d’être enfermé dans la case de « l’Arabe », une peur que j’ai appris à dépasser et à appréhender différemment à travers le regard des autres. C’est cette expérience que j’ai essayé de distiller dans ce film. Bien que l’histoire soit inspirée de celle d’une personne que j’ai rencontrée, j’y ai ajouté une touche personnelle.

Comment avez-vous choisi l’acteur principal ?

Je cherchais un acteur d’une vingtaine d’années, d’origine maghrébine. Lors du casting, j’ai découvert Hamza Meziani. Je l’avais déjà vu dans Nocturama de Bertrand Bonello, où il m’avait impressionné par son talent. Hamza possède cette qualité rare de pouvoir jouer l’absence tout en étant complètement présent. Il sait cacher ce qu’il ressent, ce qui était parfait pour le personnage de Sofiane.

Pourquoi avoir choisi ce contexte très spécial de l’accompagnement des morts et des pompes funèbres ? *

La mort m’obsède depuis très longtemps. Dans mes courts métrages : Le Secret de Fatima, Les Heures blanches, il y a toujours la mort. J’ai à ce sujet, un héritage culturel brésilien d’origine portugaise très très présent. Il y a bien évidemment l’héritage de la guerre d’Algérie. Et j’ai eu aussi une expérience métaphysique de la mort très très jeune. À six, ans en allant à l’école, je me suis posé la question de la vie après la mort et depuis ça m’obsède. Je peux dire que mon expérience de la vie s’est faite à travers la mort. Elle est même fondatrice. J’ai grandi en Haïti au moment de la chute de Bébé Doc. En rentrant de l’école, je voyais des cadavres qui gisaient dans les rues. Pour moi, cette expérience de la mort donne tout son sens à la question de la vie. C’est exactement ce à quoi Sofiane se retrouve confronté. *

D’où vient votre désir de cinéma ?

Le déclic pour le cinéma est venu avec la mort de Fellini, dont j’ai découvert l’œuvre à l’Institut français de Dakar. C’est à ce moment que j’ai été exposé à un cinéma d’auteur différent, ce qui a éveillé en moi un véritable intérêt. Mon parcours a ensuite été marqué par des études en classe préparatoire, suivies d’une faculté en économie sociale et cinéma.

Vous êtes un cinéaste engagé dans l’éducation artistique aux images auprès des jeunes depuis de nombreuses années. Ces activités ont-elles changé votre regard sur votre travail de cinéaste ?

Oui. Sur la place du cinéma dans la société française. Dans le milieu du cinéma, on peut parfois un peu vivre dans une petite bulle. Fréquenter des jeunes en dehors de Paris, à travers toute la France et essentiellement dans les Hauts-de-France, me permet aujourd’hui de mieux appréhender le rapport des jeunes aux images. Je trouve important de garder un lien et de savoir appréhender les spectateurs afin de jouer et dialoguer avec eux à travers les films.

Depuis vingt ans, je travaille avec l’Acap. Pour moi, c’est un engagement politique fort, et je crois profondément en les valeurs et la mission de cette organisation. En quelque sorte, c’est ma manière de prolonger le travail de mon père, qui travaillait à l’UNESCO sur les questions d’éducation dans les pays émergents.

Ces ateliers de création que j’y ai développés, m’ont permis également d’affiner ma direction pour non-acteurs. Grâce à ça, j’ai pu aisément mélanger et faire jouer acteurs pros et non-professionnels dans mon long métrage. Enfin, faire ces ateliers, c’est rencontrer des gens et découvrir et connaître des corps, des réalités et territoires différents, que je n’aurais pas côtoyés autrement. Je découvre et entends beaucoup d’histoires qui viennent confronter et nourrir mon écriture et mon regard. Pour moi, c’est essentiel. Ils m’obligent à garder les yeux ouverts et à rester vivant.

Six Pieds sur Terre sortie au cinéma le 19 juin 2024

* Question extraite du dossier de presse du film

 

Crédits photos : Six Pieds sur Terre © Tact Production