Tracer son chemin entre l’Indonésie et la France : Lintang Ratuwulandari, réalisatrice
Lintang Ratuwulandari est une jeune cinéaste indonésienne venue en France pour faire ses études ; elle y est restée pour faire des films. Elle commence par des courts métrages d’animation, d’abord autoproduits, puis produits. Aujourd’hui, elle réalise un documentaire mêlant prise de vue réelle et animation, actuellement en développement. À 30 ans, elle a déjà 9 courts métrages à son actif.
Comment l’animation est-elle entrée dans ta vie ?
L’animation est arrivée dans ma vie grâce à mon grand frère. J’avais 8 ans, lui 11. Il m’a montré comment faire bouger des dessins en utilisant une petite table lumineuse pour enfants.
C’était magique !
On regardait des films ensemble, que l’on décortiquait, image par image, pour comprendre le mouvement et la technique du dessin. C’est à ce moment-là que j’ai découvert ma passion pour l’animation, et je ne me suis plus jamais arrêtée depuis.
Ta vie personnelle est-elle une source d’inspiration pour tes films ?
Tous mes films s’inspirent de mes expériences ou émotions fortes. Identity, par exemple, est une métaphore du cauchemar kafkaïen que j’ai vécu avec l’administration française pour pouvoir étudier ici. We are cigarettes, mon documentaire en développement, traite de l’industrie du tabac en Indonésie, mais s’inspire largement de ma famille et de notre relation à la cigarette.
Chaque scénario trouve son point de départ en moi. Je suis présente dans tous mes films !
Identity © Envie de Tempête
Comment arrives-tu à équilibrer humour et gravité dans tes récits ?
Mes sujets sont souvent sombres. Je crée surtout lorsque je ne me sens pas bien. Quand je suis heureuse, je n’ai pas grand-chose à raconter ! Mais comme la vie est dure, je crée et les idées naissent. L’humour, c’est ma façon d’affronter la vie et de raconter mes histoires. Parfois, il est plus simple d’aborder des sujets graves en utilisant l’ironie.
Qu’as-tu appris à chaque étape de ton parcours ?
J’ai appris le métier par l’autoproduction. À chaque problème, j’ai dû trouver la solution par moi-même. Maintenant que je travaille avec des sociétés de production, cette connaissance fine du processus m’aide à anticiper toutes les tâches de chaque étape de la création.
Pour Identity, j’ai pu avancer très vite — enfin, pour un film d’animation — car je maîtrisais le processus. Nous avons mis deux ans à le finaliser.
Le dispositif La première des marches de l’Acap, que j’ai suivi, m’a permis de mieux comprendre le paysage cinématographique en France et de pousser mes projets plus loin que ce que je pouvais faire seule. J’y ai appris à développer la narration, à caractériser mes personnages et à formuler mes intentions.
Identity © Envie de Tempête
Comment choisis-tu les projets sur lesquels tu travailles ?
Le cinéma, sous toutes ses formes, est mon outil et après, au gré de mes rencontres, de mes préoccupations, il peut en sortir un film A, B ou Z. J’avance et j’essaie de saisir les opportunités dès que je peux.
ll n’y a pas de vraie stratégie, mais il y a des rencontres, comme celle avec Sarah Derny, productrice chez Envie de Tempête. On s’est rencontrées à un concert, et après avoir discuté, elle m’a dit : “tu es marrante toi, tu n’as pas un scénario à me faire lire ? ” Justement, j’avais le dossier d’Identity grâce à ma participation à La première des marches.
Pour We are cigarettes, c’est le sujet qui s’est imposé à moi : faire un documentaire en prise de vue réelle. C’est marrant, car je n’avais jamais rien fait d’autre que de l’animation. Et un jour, alors que j’étais en train de dessiner, j’ai ressenti le besoin de filmer ma famille et notre rapport à la cigarette. Ce choix du documentaire est né naturellement, tout en y intégrant un peu d’animation quand même.
Quelle a été ta formation initiale ?
Pour me former au cinéma d’animation, j’ai dû quitter l’Indonésie. J’ai eu l’opportunité d’aller en France. À tout juste 16 ans, je suis partie pour un pays que je ne connaissais pas et dont je ne parlais pas la langue, pour étudier à la faculté des arts à Amiens.
À mon arrivée, je ne parlais pas un mot, je ne comprenais rien ! Je ne pouvais dire que « bonjour », « merci », et je souriais beaucoup. Mes notes étaient mauvaises, notamment à l’écrit. J’ai alors proposé à mes professeurs de réaliser mes devoirs sous forme de films, pour prouver que je maîtrisais les sujets. Ils étaient sceptiques au début, mais j’ai réussi ma première année grâce à mes films “bidouillés”.
Par la suite, mes profs m’ont soutenue en me fournissant du matériel et en m’enseignant des techniques. Leur soutien a été déterminant.
Comment le fait de vivre entre deux cultures influence-t-il ton travail ?
En Indonésie, il existe une culture du « faire », où l’on fonce sans attendre d’avoir le bon équipement ou la bonne formation, et sans se soucier des formalités administratives. C’est une culture de débrouille, une force avec laquelle j’ai grandi et que je porte en moi. En France, les droits des personnes sont respectés, et même si tout va plus vite en Indonésie, cela ne se fait pas toujours dans le respect des règles. J’ai pris le meilleur des deux mondes.
Vivre entre deux cultures est un défi quotidien. J’ai quitté ma zone de confort en Indonésie pour me retrouver à 11 000 km de chez moi. Après tout l’effort que j’ai fourni pour arriver là où je suis aujourd’hui, il est hors de question de lâcher l’affaire.
Où en es-tu actuellement ? Comment te projettes-tu dans l’avenir ?
Mon documentaire We are cigarettes est en développement. J’ai un producteur en France, une coproductrice en Indonésie, et nous envisageons un coproduction avec le Portugal. Je suis en repérages et commence à filmer mes parents. Ils ne sont pas jeunes, donc le temps est précieux.
Je développe plusieurs projets de courts métrages d’animation, notamment autour de ma dualité culturelle – j’ai désormais vécu autant de temps en France qu’en Indonésie – et sur la féminité dans différentes cultures. Pour l’instant, je n’en suis qu’au stade des synopsis et des notes.
Je travaille aussi sur un projet musical solo intitulé “Dégouline”, un véritable pas de côté dans ma création… et j’adore ça !