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Financer un court métrage de fiction : entre parcours classique et stratégies alternatives
Le financement d’un court métrage repose souvent sur une combinaison de résidences, de bourses, d’aides régionales, de fonds CNC et de diffuseurs. Cependant, boucler un budget reste un véritable défi. Mohamed Seddiki, Guillaume Darius Khodavesi et Yohann Kouam, réalisateurs de leurs premier, deuxième et cinquième courts métrages, reviennent sur leur expérience, accompagnés de Laetitia Denis, productrice chez Bandini Films.
Les ressources incontournables : fonds régionaux, CNC et chaînes de télévision
Comme beaucoup de cinéastes, Mohamed, Guillaume et Yohann ont misé sur le trio classique :
- les fonds régionaux (ex. Pictanovo dans les Hauts-de-France),
- le CNC avant réalisation,
- les partenariats avec les diffuseurs, comme France 3 ou Arte.
Tous trois ont bénéficié du fonds court métrage de Pictanovo, mais seul Yohann a franchi l’étape, redoutée, du CNC avant réalisation. Par ailleurs, Guillaume et Mohamed ont suivi un accompagnement à l’écriture de scénario dans le cadre du programme La première des marches, ce qui leur a permis de structurer leur projet en amont.Pour combler les besoins financiers restants, ils ont dû innover.
Mohamed Seddiki : « Les soutiens locaux ont été déterminants »
« Pour mon premier court métrage, Saint Honoré, profondément lié à la ville d’Amiens, nous avons bénéficié du soutien inattendu du Conseil départemental de la Somme, malgré une date de clôture dépassée, grâce à un bug informatique. Ces premiers financements nous ont donné confiance pour approcher France 3, qui a co-produit et diffusé le film. »
Guillaume Darius Khodavesi : « Un concours a tout débloqué »
« Face au double refus du CNC pour mon court métrage, Du cœur à l’ouvrage, mon producteur, Papermoon Films, m’a conseillé de candidater au concours de scénario de l’Eure. Bien que sceptique, j’ai remporté le prix à l’unanimité, ce qui a boosté ma motivation. J’ai également obtenu la bourse Beaumarchais, une aide à l’écriture. Si le film n’est pas encore finalisé, ces financements ont permis de poser les bases solides de sa production. »
Yohann Kouam : « J’ai choisi de prendre un risque »
« Pour Après l’aurore, j’ai adopté une stratégie différente des projets précédents. J’ai d’abord écrit et déposé le projet seul au CNC. C’était un réel pari de ma part. Une fois au deuxième tour, j’ai cherché un producteur partageant mes exigences artistiques. Ce choix m’a permis de garder le contrôle sur le calendrier, même si j’ai pris le risque de ne pas être accompagné dès le départ. »
Après l’aurore © Alta Rocca Films
Stratégies alternatives : entre créativité et concessions
Optimiser les candidatures : conseils de Laetitia Denis
- Multiplier les dépôts : « Quand un projet est éligible dans plusieurs régions, nous privilégions un premier dépôt régional avant le CNC. Cela apporte au mieux un financement, et au minimum un retour sur le projet. Chaque dépôt renforce le projet pour la suite. »
- Préparer des dossiers solides : « Si le dépôt n’est possible que dans une seule région, le mieux est de commencer par le CNC, mais il ne faut pas se précipiter. Le scénario doit être finalisé et abouti. Il y a aussi les chaînes de télévision, mais c’est toujours le dernier dépôt. Il est préférable de le faire quand le scénario est solide et a déjà passé toutes les phases de retour et de réécriture. »
Adapter le projet au budget disponible :
- Guillaume : « Grâce aux soutiens régionaux, nous avons le budget minimal pour réaliser le film, mais il manque encore un diffuseur. Nous restons optimistes. Il reste des pistes à explorer (télévision, Fonds Images de la diversité du CNC, etc.). Tout est encore possible. »
- Yohann : « Malgré un bon budget (CNC avant réalisation, Pictanovo court métrage et Arte), le projet était très ambitieux, avec beaucoup de décors, de personnages et le choix de tourner en pellicule. Tourner en pellicule a généré des tensions avec mon producteur, mais nous avons trouvé un compromis : réduire le tournage d’une journée tout en gardant ce choix artistique. »
- Laetitia : « C’est toujours très compliqué lorsque le budget est insuffisant aux besoins. Certains producteurs révisent le scénario pour réduire les coûts : histoire resserrée, moins de décors, de personnages, de techniques. D’autres abandonnent purement et simplement le projet. C’est une décision difficile à prendre, parfois après plusieurs années de travail, de se dire que le film ne va pas exister. »
Le court métrage : tremplin ou format à part entière ?
Laetitia : « Le court métrage est une école essentielle pour le réalisateur : écriture, financement, direction d’équipe… tout y est. Cependant, les réseaux longs métrages et courts restent souvent cloisonnés. »
Yohann : « Faire un long sans passer par un court ? Non, je n’y crois pas du tout, sauf peut-être pour ceux issus de la Fémis en section scénario, avec des connexions ou des liens familiaux. Aucun producteur ne s’aventurera dans ce long processus de développement et de recherche de financement avec un auteur dont il n’a rien vu en termes de réalisation. Cependant, je ne raisonne pas en termes de progression linéaire : chaque projet trouve son format idéal, qu’il soit court, long ou série. »
Guillaume : « Le court métrage est pour moi une carte de visite pour un éventuel long. Le retour sur mon premier film a ouvert des portes pour le second. Cette reconnaissance, même modeste, est encourageante. Depuis quelques semaines, je m’autorise à penser que je peux et veux en faire. Je suis encore en apprentissage, montrant ce que je peux faire avec mes courts, mais je prépare la suite. Le long que j’écris est dans la continuité de mon court, avec la même sensibilité et thématique. »
Mohamed : « Depuis le début, je le vois comme un tremplin. Nous préparons d’abord un autre court métrage avant de penser à un long. »
Saint Honoré © Année Zéro
Checklist pour déposer un projet
Voici les étapes clés pour maximiser vos chances de financement :
- Écriture : développer un scénario solide, éventuellement avec l’aide d’un atelier ou d’une résidence (comme La première des marches) .
- Partenariats : identifier les producteurs ou diffuseurs potentiels dès l’écriture.
- Plan de financement : rechercher les aides régionales, les concours, les bourses d’écriture et les fonds CNC.
- Budget réaliste : prévoir des alternatives en cas de budget limité (réductions de décors, moins de personnages, etc.).
- Dépôt du dossier : présenter un projet clair, avec des intentions artistiques et un calendrier de production crédibles.
Conclusion : une course de fond pour chaque projet
Laetitia Denis : « Le marché est de plus en plus compétitif. De plus en plus de personnes souhaitent réaliser des courts métrages : ce qui est en soi génial, cela veut dire que le court est de plus en plus une option pour des cinéastes. Mais on peut parfois attendre un an ne serait-ce que pour avoir une réponse négative ou positive de financement. »
Guillaume : « Chaque nouvelle version du scénario semblait parfaite, mais en comparant celle d’il y a un an et demi à l’actuelle, la différence est flagrante. Ce temps de maturation a été bénéfique : si j’avais eu tout l’argent dès le départ, et sans ces retours, le film serait peut-être moins abouti. »
Ressources utiles :
Pour rester informé sur les bourses, résidences et aides pour le court métrage : inscrivez-vous à la newsletter Premiers pas.
- Fonds d’aide en Hauts-de-France – Pictanovo
- Bourses d’écriture – Beaumarchais SACD
- Les aides du CNC au court métrage – CNC
- L’aide avant réalisation « premiers films » et « auteurs expérimentés » – CNC
- L’aide après réalisation – CNC
- Département de la Somme
Les chaînes de télévision
Les chaînes de télévision produisent, co-produisent et achètent des films, avant et après réalisation, selon leurs lignes éditoriales. Voici quelques exemples :
- ARTE – courts, moyen métrages, séries courtes, récits documentaires…
- France TV – court métrage
- France TV – courts métrages de fiction, courts documentaires et films d’animation
- Wéo – court métrage
Photo couverture : Après l’aurore © Alta Rocca Films