Portrait cinéphile dE LA réalisatrice Nathalie Najem
Auteure-réalisatrice de courts métrages, scénariste pour de nombreux films, en cours d’écriture de son premier long métrage, Nathalie Najem partage avec nous ses liens forts avec le cinéma, en passant par sa première séance dans des conditions extrêmes, la transmission de la passion des films par sa mère en allant jusqu’à son regard de cinéaste affirmée.
Nathalie Najem intervient régulièrement pour l’Acap et particulièrement dans le cadre de l’accompagnement des jeunes auteurs réalisateurs La première des marches.
Ton premier souvenir de cinéma ?
J’ai mis pour la première fois un pied dans un cinéma dans des circonstances assez particulières. J’avais environ six ans. Il faut savoir que ma mère est une passionnée de cinéma, pour qui voir des films est vital. Nous vivions à l’époque à Beyrouth en pleine guerre civile. Les cinémas étaient pour la plupart fermés et c’était très dangereux de passer d’un quartier à l’autre pour accéder à une salle ouverte. Un jour, ma mère a su qu’il y avait, à l’autre bout de la ville, la projection de La guerre du feu de Jean-Jacques Arnaud et elle nous a fait traverser la ligne de démarcation, ma soeur, moi et une amie à elle, pour le voir ! C’est de cette manière, dans une salle de cinéma quasiment vide que j’ai vu mon premier film sur grand écran. Ce n’est pas le film qui m’est resté, mais la grande aventure que nous avions vécue pour y aller. Et ensuite c’est le fait d’avoir découvert LA SALLE DE CINÉMA, ce lieu tellement important dans les yeux de ma mère qu’elle nous avait fait braver des risques pour y accéder.
Un autre moment important dans mon initiation au cinéma était beaucoup plus tard. Nous habitions à Nice et ma mère allait tout le temps à la cinémathèque de la ville. Un jour, j’étais inscrite à une activité qui m’ennuyait profondément et je suis rentrée en douce dans la salle de la cinémathèque pendant la projection en sachant que ma mère était là. Je me suis assise dans un coin et j’ai découvert un film qui n’était pas pour enfants, qui s’appelait Escalier C de Jean-Charles Tacchella. C’est la vie d’un immeuble parisien avec une vieille dame qui meurt à la fin. Je ne sais pas quoi penser de ce film, je ne l’ai pas revu, mais à l’époque j’avais adoré ! Me glisser comme cela dans le noir, dans un endroit interdit, mais en sécurité parce que ma mère était là, c’était un grand moment. J’ai vu pas mal de films à la cinémathèque de Nice en imaginant toujours ce que ma mère aurait pensé du film. Finalement à l’âge adulte on n’a pas le même goût, mais à l’époque je me référais à elle. C’est elle qui m’a introduite au monde du cinéma.
Quand as-tu réalisé que tu voulais faire du cinéma ?
J’avais peut-être 16 ans et je suis allée voir Van Gogh de Pialat et devant la mise en scène, la beauté du film, la présence forte des acteurs comme du moindre figurant et la justesse qui émanait du film, je me suis dit « Ah c’est ça le cinéma ! ». J’avais depuis toujours un fort désir de m’exprimer, mais c’est en voyant ce film que mon envie s’est fixée sur le cinéma comme moyen d’expression.
Voir ses propres films en salle, ÇA FAIT QUOI ?
Ce n’est pas hyper agréable. Une sensation de mise à nu quand tu regardes ton travail au même moment que d’autres personnes. C’est vrai également que Baby Love le dernier film que j’ai réalisé était sur grand écran d’une beauté qui n’était pas visible sur petit écran. Il y a des moments de flous à l’image, une temporalité qu’on ne peut que voir sur grand écran et cela change tout le regard et, je pense, la réception du film. L’écriture par des choix d’accessoires, des couleurs, des matières, une manière de filmer et de cadrer… Tout est fait pour qu’ils prennent leur juste valeur sur le grand écran.
Un film auquel tu fais référence actuellement pour parler de cinéma ?
Je suis le travail d’un duo de cinéastes new-yorkais les frères Safdie. Ils ont commencé avec des films à tous petits budgets avec un mélange de réalité et de fiction presque documentaire. Plus ils avancent, plus ils ont de l’argent et peuvent travailler avec des comédiens connus, mais il y a toujours ce même procédé. Ils parlent uniquement des sujets qu’ils connaissant en profondeur : à la fois des quartiers de New York, des communautés juives et des bas-fonds…
C’est la manière qu’ils ont d’aborder leurs personnages qui me touche beaucoup et qui fait écho à mon propre travail cinématographique. Leurs personnages sont des marginaux qu’ils connaissent bien et ils ont le talent d’en faire des héros avec toute leur ambiguïté, et du dérangeant. Le film qui me les a fait découvrir s’appelle Lenny & the kids. Cela raconte une quinzaine de jours de deux frères gardés par un père irresponsable et instable qu’ils ne connaissent pas du tout. Le film est, comme son sujet, constamment en mouvement avec sans cesse des accidents de parcours. Les frères Safdie jouent avec l’écriture et le spectateur les suit un peu hors haleine, rien ne se passe jamais comme prévu et parfois c’est dramatique.
Le film que tu aurais adoré voir sur grand écran ?
J’aurais vraiment aimé voir le film Une grande fille de Kantemir Balagov, sur grand écran. Ce film a été une telle claque cinématographique pour moi, j’aurais voulu le découvrir dans l’obscurité de la salle de cinéma, complètement imprégnée de son ambiance, sa matérialité et me laisser embrasser par l’histoire et sa mise en scène.
Seule ou accompagnée en salle ?
Définitivement seule et si possible sans trop de monde autour de moi ! Cela me dérange de sentir la réaction de l’autre au film que je suis en train de découvrir. S’il n’aime pas…
As-tu une place préférée ?
Le plus au milieu possible par rapport à l’écran… plutôt devant, mais pas au premier rang non plus. Parfois cela m’amuse, quand j’y vais avec d’autres personnes de suivre leurs préférences. Je découvre de cette manière les films autrement. Comme par exemple avec ma mère, avec qui j’ai vu beaucoup de films, qui est amatrice du fond de la salle.
L’horaire idéal ?
Quand on écrit pour le cinéma, visionner des films fait partie du travail, mais j’ai quand même toujours l’impression que je glande en allant au cinéma ! Donc j’y vais toujours à 18 heures, à la limite entre la vie du travail et la vie familiale – amicale.
Comment choisis-tu les films ?
Soit ce sont des cinéastes que je suis, et quand ils sortent un film je vais le voir sans me poser de questions, soit ce sont des amis qui m’en parlent, ou sinon encore, je regarde les bandes annonces. J’adore regarder les bandes annonces ! Elles créent chez moi le désir de voir des films. La bande annonce de Drunk par exemple, le film de Thomas Vinterberg, m’a donné un tel sentiment d’excitation et d’urgence que j’étais obsédée à l’idée d’aller voir ce film.