Du texte à la composition musicale, comment ça marche ?
Pierre-Antoine Naline, musicien-compositeur et Léa-Anaïs Machado, autrice et artiste pluridisciplinaire, ont mis en voix et en musique Des âgés, récits de jeunes de la Maison familiale et rurale de La Capelle. Investis dans la quatrième édition nationale de Raconte-moi ta vie ! portée par Auteurs solidaires et accompagnée en Hauts-de-France par l’Acap, de l’écriture à la partition musicale, les deux auteurs-compositeurs lillois nous en expliquent les ficelles.
Sur ce projet de composition, vous avez travaillé en duo. Est-ce votre mode de production ?
On travaille beaucoup en binôme et en vases communicants parce que nous sommes complémentaires dans nos pratiques musicales, d’écriture et de mise en voix. La narration et la musique sont d’ailleurs centrales dans nos projets. On sait comment l’un et l’autre fonctionne. On peut facilement déléguer. Les projets se déroulent de manière plus rapide, fluide et sereine. D’autant plus lorsque le temps nous est compté à l’instar du projet que nous avons mené avec la vingtaine d’élèves de la Maison familiale et rurale de La Capelle, dans l’Aisne.
Quelle a été la base de votre travail ?
Il y a d’abord eu l’écriture de courts récits avec l’auteur Max Bouvard. En première bac professionnel Sapat (Services aux personnes et aux territoires, ndlr), le groupe a livré des petits portraits touchants de personnes âgées. Pour créer dix minutes de bande son, nous n’avions que quatre séances de trois heures pour mettre en voix et en musique cette matière très sensible. Le texte a été repris et redécoupé avec les élèves afin de n’en garder que l’essentiel. Nous avons ordonné les récits dans une sorte de progression narrative, du dramatique vers la joie.
A quel moment le travail de composition musicale est-il intervenu ?
Le travail s’est fait en parallèle. Le challenge était double : comment construire une bande son qui puisse autant raconter que le texte et comment les associer ? La bande son est conçue de la même manière que le texte : des blocs entrecoupés de courtes phrases qui viennent cheminer et servir de fil conducteur à la narration de toutes ces histoires. Là où le projet est intéressant est que la musique n’est pas seulement une traduction. Elle peut aussi guider les textes pour en renforcer la progression narrative. L’écriture sonore est un scénario qui s’écrit et raconte tout autant que l’écrit. Nous ne sommes pas seulement dans la transcription de mots ou leur mise en musique. Les deux matières dialoguent, se rejoignent, se complètent, se séparent ou s’opposent. Cela ajoute finalement une grande part de sensible.
De quelle manière avez-vous travaillé avec les jeunes sur la partie musicale ?
Ils ont évidemment été force de proposition. Nous avions des phases d’analyse et d’écoute de pistes musicales pour éprouver et ressentir. En a découlé un vocabulaire simple comme la joie, l’amour ou la tristesse assorti d’un nuancier émotionnel. S’en sont suivies des compositions rapides au piano et au synthétiseur pour faire émerger les ressentis et analyser les partitions en fonction du texte : est ce que ça colle ? Est-ce que la musique exprime ce qui est raconté ? Il y a eu énormément de dialogues et d’échanges. Cette implication est rare. La phase de post-production s’est faite sans les élèves qui ont donc découvert le produit final sur la scène du Safran à Amiens.
Concernant la mise en voix des textes, comment cela s’est-il déroulé ?
Nous nous sommes organisés en petits groupes. Les élèves avaient déjà la musique en tête avant leur lecture. Cela en a guidé le rythme. La voix a été un gros travail d’acceptation, d’estime et de perception de soi, de déconstruction des peurs et des gênes. Faire comprendre que toutes les voix sont intéressantes permet de décomplexer d’autant qu’une voix bien posée peut être très musicale.
Que ressort-il de cette expérience ?
Il y a eu une osmose de groupe indéniable. La dynamique a permis de réaliser le travail dans le temps imparti. Avec les ados, il y a toujours une part de magie, de la fraicheur, quelque chose de brut sans filtre et à fleur de peau. C’est très intéressant. La texture sonore permet aux jeunes de se raconter. Ce genre de projet permet aussi d’abolir les cadres et de se dire que l’on a le droit de se tromper, de buter sur un mot et de recommencer.
Elora, 16 ans
« L’expérience était très enrichissante, c’est une première pour moi. Nous avons beaucoup appris de choses au niveau technique par exemple, comme créer des sons liés aux sentiments et aux émotions. Des liens se sont vite créés avec Pierre-Antoine et Léa-Anaïs. C’était bien cool. »
Anaëlle, 16 ans
« Cela a été vraiment très intéressant. Écrire nous a permis de laisser libre cours à notre imagination. Se dire que ce sont nos textes qui ont finalement construit le projet est incroyable. J’ai adoré. Il y a eu une vraie cohésion de groupe. Nous étions tous soudés. »
Liza, 17 ans
« La cohésion de groupe s’est beaucoup enrichie. Ce projet a été rassembleur. »
Nathalie Germain, déléguée aux opérations et au mécénat d’Auteurs solidaires, nous explique
Raconte-moi ta vie ! qui, à travers la rencontre d’auteurs et l’écriture de récits, permet aux lycéens issus de lycées professionnels, agricoles et classes allophones de renouer avec leur histoire personnelle à travers une démarche de création artistique (écriture de scénario, réalisation d’un court métrage, mise en voix et en musique.)
« Auteurs solidaires et son fond de dotation part de l’idée de transmission. Beaucoup de jeunes ne connaissent pas leur propre histoire ou celle de leurs parents. Ce projet met de la distance entre sa propre vie et celle de ses parents. Il s’agit d’un travail de distanciation via l’écriture et la fiction. C’est favoriser le lien avec l’autre et l’acceptation de soi. Pour les auteurs, c’est une aventure humaine assez inédite et source de grande inspiration. Dans leur parcours, ce projet permet aussi de continuer à créer. Des élèves se révèlent, cela participe de la réussite scolaire, de l’accomplissement de soi et d’aborder une discipline artistique qui ne fait pas forcément partie de leur quotidien. Il a ce double intérêt général.»
Pour aller plus loin :
Pour en savoir plus sur Raconte-moi ta vie ! en Hauts-de-France
L’ensemble des projets Raconte-moi ta vie ! est sur auteurs-solidaires.org
Les projets de création sonore et radiophonique de Pierre-Antoine Naline et Léa-Anaïs Machado sont sur foretnoire.net