Comment devient-on productrice ? Entretien avec Delphine Schmit
Pourquoi avoir fait le choix de devenir productrice ? C’est ce qu’on a demandé à Delphine Schmit, co-fondatrice de Tripode Productions et professionnelle référente du programme d’incubation La première des marches.
Delphine Schmit a produit une vingtaine de courts métrages, de fiction, d’animation, mais également des films d’art, et trois premiers longs métrages dont le film de César Diaz, Nuestras Madres, Prix SACD à la Semaine de la Critique et Caméra d’Or au Festival de Cannes en 2019. Elle a été nommée à l’Oscar du meilleur court métrage en 2013 et a vu les films qu’elle a produit primés à Pantin, Brive, Belfort, Angers, au FIPA et dans plusieurs festivals internationaux. En 2015, elle s’associe à l’Acap et devient la référente du dispositif d’accompagnement à l’écriture La première des marches. En 2017, avec Guillaume Dreyfus elle fonde la société occitane Tripode Productions et en 2019, ils remportent la Palme d’Or du court métrage à Cannes avec La Distance entre le Ciel et nous de Vasilis Kekatos.
Comment vous êtes-vous lancée en tant que productrice ?
Le métier de productrice s’est imposé par un hasard de rencontres et de circonstances. Je suis rentrée chez Perspective films au moment de sa création en tant qu’assistante de production, après avoir travaillé sur plusieurs courts métrages en tant que directrice de production. En parallèle, j’avais suivi l’Atelier scénario de la Fémis et une formation à la réalisation de films documentaires aux Ateliers Varan. Ce bagage me donnait une assise assez solide pour prendre en charge le développement des projets et la relation avec les auteurs. Les associés de Perspective Films m’ont alors rapidement proposé de devenir associée dans la société.
Caméra d’or, Palme d’or à Cannes… et maintenant lauréats de l’appel à projets « films de genre » lancé par le CNC, vous êtes sur tous les fronts. Comment choisit-on les projets, les auteurs ?
C’est difficile d’expliquer ce processus car c’est une étape très personnelle et subjective. Il y a d’abord la rencontre avec le scénario. Cette première lecture est très importante, je la trouve même fondatrice. Je suis toujours très fébrile avant de lire un scénario. Et la première impression est celle que j’essaie de conserver pendant tout le temps du développement et de la fabrication. Ainsi pour Nuestras Madres, j’avais été bouleversée par la lecture du scénario (j’avais même pleuré) et 5 ans plus tard, au moment du montage, je me disais que notre objectif devait être de retrouver cette émotion première. Ensuite il y a la rencontre avec les auteurs, qui est cruciale aussi. On va travailler longtemps ensemble. Il faut que la rencontre soit une évidence, qu’on sente qu’on puisse se faire confiance mutuellement. On le dit souvent mais c’est pas faux, c’est un peu comme un « mariage ». Il s’agit de rencontres en somme !
Était-ce facile en tant que femme de s’imposer dans ce métier ?
Je considère que la difficulté ne réside pas dans le fait d’exercer ce métier en tant que femme. Les enjeux sont plus souterrains et pernicieux. Les « grands » producteurs (ceux qui produisent des films avec des budgets importants) sont encore plutôt aujourd’hui des hommes blancs de plus de 60 ans, et comme dans tous les milieux, on a ponctuellement affaire à la petite misogynie du quotidien, mais pas plus qu’ailleurs je pense. Pour l’anecdote, lorsqu’on m’a remis la Caméra d’or à Cannes (et la Palme d’or du court métrage), je suis sortie de la cérémonie avec mes prix dans les bras et j’ai été présentée à un important producteur qui m’a dit que j’avais une très une jolie robe… Si j’avais été un homme, j’imagine qu’il m’aurait interrogée sur mes projets à venir. Je pense qu’il ne s’est même pas rendu compte que cela pouvait être mal pris. Pour lui c’était un compliment. Même si la parité est loin d’être gagnée, j’ai pu tout de même observer qu’il y a de plus en plus de femmes productrices qui font des films avec des budgets inférieurs que les producteurs, mais dont les films sont présents dans les grands festivals.
En tout cas, former un binôme homme/femme au sein de notre société de production, c’est un modèle qui fonctionne bien.
Y avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
Être producteur est un métier très difficile, qui n’est pas encadré. Chacun y va d’une certaine façon avec sa propre éthique. Je pense que si on fait ce métier avec sincérité, cela porte ses fruits. Il faut du temps pour connaitre toutes les ficelles et de la maturité dans le dialogue avec les auteurs. C’est un métier pour lequel il faut être pugnace pour développer les auteurs que l’on aime.
Qu’est ce qui vous a donné envie de vous engager dans le programme d’accompagnement des jeunes auteurs de l’Acap ?
L’importance de mon métier est d’accompagner les jeunes auteurs et c’est très motivant et stimulant de rester en contact avec une génération jeune qui me nourrit autant que je les accompagne. Pour moi cela est naturel de transmettre ce que j’ai appris et le faire avec La première des marches était une évidence. Mobilisés et accessibles, sont nos maîtres mots avec Guillaume. Avec Tripode, nous accompagnons de jeunes auteurs du court au long. Notre rêve serait d’accompagner les auteurs jusqu’à la diffusion de leurs films en ayant notre propre cinéma.
Votre actualité est foisonnante. Quels sont vos prochains projets ?
Les Meilleures de Marion Desseigne Ravel, distribué par Le Pacte, et Une Mère de Sylvie Audcoeur avec Karine Viard sont nos dernières productions. Elles sortiront en salle en mars 2022. Nous sommes en post-production d’un premier long métrage, L’amour selon Dalva d’Emmanuelle Nicot et préparons deux tournages en 2022 : Our wildest days de Vasilis Kekatos (qui avait obtenu la Palme d’or avec son court métrage) et une comédie romantique, Le Syndrome des amours passées – deuxième film écrit et réalisé par Ann Sirot et Raphaël Balboni, qui est lauréat de l’appel à projets « films de genre » du CNC.
>>> Pour suivre le travail de Delphine Schmit chez Tripode productions
>>> Découvrir La première des marches de l’Acap