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Entre érotisme et gourmandise, le premier film audacieux de Louise Labrousse

À seulement 21 ans, Louise Labrousse, jeune réalisatrice, ose avec Stuffed, un court métrage d’animation qui mêle érotisme féminin et nourriture. Explorant à la fois le dégoût et le plaisir à travers un prisme fantastique, ce premier film intrigant interroge nos sens. Pour comprendre le processus créatif derrière cette œuvre audacieuse, nous avons rencontré Louise et sa productrice Barbara Vougnon, de chez Tchack.

Qui es-tu, Louise ?

J’ai toujours dessiné. C’est ma mère qui m’encourageait quand j’étais enfant, et cette passion ne m’a jamais quittée. Je me débrouillais bien et pensais devenir illustratrice. J’ai donc intégré le lycée de l’ESAAT (École Supérieure des Arts Appliqués et Textiles) à Lille avec cet objectif. C’est là que j’ai découvert le cinéma d’animation sous toutes ses formes : peinture, sable… de véritables œuvres d’art. C’est aussi à cette époque que j’ai assisté à mes premières séances de cinéma d’art et essai. Ça a été une révélation. Après un passage à Rubika pour explorer la 3D, j’ai décidé de revenir à l’ESAAT pour obtenir mon diplôme de métier d’art. J’ai alors assumé pleinement mon envie de tout essayer, d’être polyvalente, de travailler en 2D, et surtout, de réaliser mes propres films.

Tu viens de réaliser ton premier film Stuffed. Quelle en est la genèse ?

Louise :
Stuffed était un projet de fin d’études. Une idée très adolescente : j’avais envie de casser les codes en explorant le plaisir féminin sous toutes ses formes, en y mêlant dès le départ la nourriture. Construite comme une anti-lolita, le personnage féminin du film n’est ni une jeune première en fleur ni une séductrice démonstrative. Comme nous, elle traverse les aléas de la masturbation face à un corps changeant, «bizarre». Non sans maladresse, elle s’explore, à la recherche de nouveaux gestes. Je voulais ramener de l’humain dans la proposition érotique du film en lui donnant cette fragilité là. Stuffed invite à poser un regard tendre sur notre intimité si souvent ébranlée par des considérations esthétiques et veut rappeler que la sexualité est un jeu.

À la fin de l’année, comme j’avais encore ce projet en tête, j’ai commencé à le pitcher, notamment lors du concours CréaTalents de Pictanovo. Même si je n’étais pas la meilleure de ma classe, à ma grande surprise, ce projet assez clivant m’a permis de décrocher le prix Image de 1 000 €. C’est là que j’ai compris que tout était possible, et j’ai décidé de me lancer pleinement.

Stuffed a ensuite été sélectionné dans l’incubateur La première des marches de l’Acap, un accompagnement qui m’a beaucoup aidée en tant que jeune réalisatrice. On a retravaillé le scénario, monté un dossier de production, et j’ai appris à développer un dialogue professionnel, ce qui est loin d’être évident quand on sort tout juste d’une formation. Parallèlement, j’ai débuté une alternance chez Tchack. Voyant le projet évoluer, le studio a décidé de le produire. Nous avons signé en 2019, et c’est là que l’aventure professionnelle a vraiment commencé.

Interview de Louise sur son film Stuffed

L’engagement de la production, une vision commune du film

Barbara :
Nous avons repéré le projet lors du concours CréaTalents, et il a immédiatement suscité un fort engouement au sein de l’équipe. Dès le début, Stuffed portait une ambition narrative qui défiait les conventions, et cela nous intriguait. On s’est demandé qui était cette jeune réalisatrice, Louise, avec une proposition aussi forte.

Nous lui avons proposé une année d’alternance pour développer son film en toute liberté. À ce stade, aucun contrat n’était encore signé. Il est crucial que les jeunes réalisatrices et réalisateurs comprennent que, avant tout contrat, il faut établir une vision commune du film. Tant que rien n’est acté, l’auteur a la possibilité de se tourner vers d’autres partenaires, et le producteur peut aussi décider de ne pas poursuivre. Au terme de l’alternance, nous avons signé un contrat et déposé une demande d’aide au programme éditorial de court métrage chez Pictanovo. Ce soutien a permis d’intégrer Stuffed dans une stratégie de développement plus large, et de lancer la recherche de financements.

Produire un premier film, est-ce un risque ou une opportunité ?

Barbara :
La jeunesse d’un réalisateur ou d’une réalisatrice n’est pas forcément un risque. Chaque projet comporte sa part de pari. Avec Louise, c’était un véritable défi, mais elle est arrivée avec une histoire déjà bien construite. Bien sûr, il y a eu du tâtonnement, mais cette phase de développement est l’un des plus beaux moments de collaboration entre un auteur et une production. Ensemble, on façonne le film, avec une vision partagée.

Quels ont été les principaux obstacles dans la création du film ?

Louise :
Il y en a eu beaucoup ! L’un des premiers défis a été de comprendre l’industrie du cinéma et ce qu’on attendait de moi à chaque étape, en tant que jeune autrice. J’ai dû apprendre à grandir rapidement. Sur un court métrage, on occupe de multiples rôles : autrice, réalisatrice, technicienne, mais aussi animatrice d’équipe. C’était ma première expérience avec des éléments comme le storyboard, le layout, le posing et la conception graphique. Je me suis souvent sentie dépassée et seule, surtout en réalisant que si je n’exprimais pas clairement mes intentions, personne de mon équipe ne pouvait les deviner.

Un autre obstacle majeur concernait le sujet même du film. Il ne s’agissait pas de choquer pour choquer. J’ai dû clarifier mes intentions à plusieurs reprises, notamment devant la commission de l’aide avant réalisation au CNC, qui a d’abord jugé le projet insuffisamment abouti. Ils ont proposé un report avec un tutorat de Lucrèce Andreae, réalisatrice, qui avait beaucoup aimé le projet. Ce diagnostic a été essentiel, même si je peinais à transformer le scénario seule. C’est là que Cloé Coutel, une amie et collègue, m’a rejoint en tant que co-scénariste. Avec elle, le film s’est véritablement révélé. Nous avons pu écrire le film que je voulais profondément faire, mais que je n’étais pas capable de rédiger seule. Ce processus de réécriture, bien que difficile, était nécessaire pour aboutir à la version finale de Stuffed.

Finalement, après un long processus d’échanges et de réécriture, nous avons redéposé le projet au CNC. Même si nous n’avons pas obtenu l’aide cette fois-là, d’autres opportunités se sont ouvertes.

Barbara :
Côté financement, nous n’avons rien lâché ! Entrer en production avant d’avoir tout le financement était risqué et un peu effrayant, mais nous avons trouvé le soutien de plusieurs régions, dont les Hauts-de-France, le Centre-Val de Loire et La Réunion, ainsi que des aides du CNC (Aide aux moyens techniques de production et de diffusion, Fonds de soutien audiovisuel) et de Canal+ La Réunion. Et avec l’appui de Gao Shan Pictures en tant que co-producteur, nous avons finalement pu boucler le budget avec des financements à La Réunion et mener à bien ce projet.

La vie du film

Stuffed est sorti en mars 2024 et aura une durée de vie d’environ deux ans sur le circuit des festivals. Pour élaborer notre stratégie d’inscriptions, nous sommes accompagnés par Wasia Distributions, qui nous aide à cibler des festivals où les thèmes de la féminité et du fantastique sont centraux.

À ce jour, Stuffed a été sélectionné dans plusieurs festivals prestigieux, parmi lesquels :

  • Annecy festival
  • Court Métrage (Rennes)
  • Ravenheart international film festival (Norvège)
  • Imaginaria festival (Italie)
  • Guanajuato international film festival (Mexique)
  • Catalogue Flux (Hauts-de-France)
  • Diffusion sur Canal + La Réunion

Pour aller plus loin :

Photos : Stuffed © Tchack et Gao Shan Pictures – Louise Labrousse, © Gaël Clariana