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Plongez dans l’univers fascinant des genres cinématographiques avec Mélanie Boissonneau, spécialiste des questions de genre. De la construction des identités à l’écran aux archétypes marquants du cinéma, laissez-vous guider vers un sujet aussi riche qu’intriguant : la femme vampire, icône mystérieuse et envoûtante, qui questionne nos imaginaires et repousse les frontières des représentations.
C’est quoi, un genre ?
Peut-on le définir ?
Quelques ouvrages universitaires français sont consacrés à la question du genre et de sa définition. La référence, sur laquelle repose cette partie de l’article, est celui de Raphaëlle Moine. L’autrice y rappelle tout d’abord l’importance de la dénomination générique, utilisée par tout le monde (entre amis, pour choisir un film, dans la critique, sur les plateformes de VOD…) et qui structure notre rapport au monde du cinéma. Mais bien que leur usage soit très familier, la définition des genres cinématographiques est extrêmement complexe et ils sont bien souvent plus faciles à reconnaître qu’à définir.
On peut par exemple choisir de définir un genre selon l’effet qu’il produit sur le spectateur : une comédie doit faire rire, un film d’horreur doit faire peur. Mais on peut également définir un genre par des thématiques, comme le western, qui a pour sujet la vie dans l’ouest américain de la fin du XIXe siècle, avec des motifs récurrents (le désert, les canyons, le saloon, le cow boy, le shérif, les chevaux …).
Pour compliquer le tout, les limites du genre peuvent être floues, avec un cadrage très vaste (par exemple : le genre « drame » recoupe un nombre infini de films, quelque soit le pays et l’époque de production), ou au contraire désigner une catégorie très précise (par exemple : le film « d’agression animale » qui regroupe les films mettant au cœur de leur récit des attaques d’animaux, comme Les dents de la mer de Steven Spielberg, 1975, ou Vermines de Sébastien Vaniček, 2023.
A quoi sert-il ?
Les genres cinématographiques sont un modèle efficace de production industrielle. La production d’un film de genre suppose à la fois une répétition de traits caractéristiques (par exemple un film d’horreur qui débute avec une bande d’amis en week-end dans un chalet perdu au milieu des bois) et une variation (la menace est démoniaque, un virus, un tueur, un des amis…).
Pour le spectateur, rapporter un film à un genre est une façon de classer le film, mais aussi de le lire et de l’interpréter. Le genre est donc un pacte de communication, une promesse qui organise une attente : si l’on va voir un film d’horreur, on s’attend à ce que la bande d’amis dans le chalet soit attaquée et qu’un certain nombre de personnages meurent de façon plus ou moins sanglante.
Archétypes du cinéma de genre
Pour approfondir sur la question du genre cinématographique, explorons certains archétypes associés à un genre en particulier…
Hercule contre les vampires © Mario Bava
Les hommes musclés qui peuplent les péplums
Dès le premier âge d’or du péplum, inauguré en 1914 avec la superproduction italienne Cabiria (Giovanni Pastrone), un personnage s’impose, immuable et indispensable au genre : le héros athlétique, bodybuildé, qui porte la tunique qui a donné son nom au genre (du grec peplos qui désigne, dans la Grèce antique, une tunique féminine faite d’un rectangle de tissu enveloppant le corps et dont la partie supérieure est repliée sur le buste).
Souvent incarné par de véritables culturistes, comme Steve Reeves (vainqueur de 5 titres majeurs du culturisme à la fin des années 1940), Reg Park (ami et modèle d’Arnold Schwarzenegger, trois fois Mr Univers) ou Alan Steel (pseudo américain de Sergio Ciani), l’archétype du héros musculeux est Hercule (et ses variations, Maciste et Ursus par exemple).
En plus des valeurs morales qu’il incarne, le personnage herculéen suppose quelques figures imposées mettant en valeur ce corps construit par de longues années de sueur. Plans larges, contre-plongées et scènes de torture (qui obligent le héros à avoir les bras écartés et en tension) glorifient le héros musclé jusqu’au déclin du genre à partir de 1965. Aujourd’hui, quelques films font à nouveau briller la flamme du péplum et les corps bodybuildés de ses héros (Gladiator et Gladiator de Ridley Scott, 300 de Zack Snyder).
© Capture d’écran d’une recherche images sur Internet du mot « cow boy »
Le cow boy du western
Le genre western peut se décliner dans l’espace et le temps. Géographiquement, il se déroule dans l’ouest des Etats-Unis et s’étire au nord jusqu’en Alaska, et au sud vers le Mexique. Historiquement, la période classique du western est la seconde moitié du XIXe siècle. Mais surtout, ce qui définit le western, par delà les lieux et les époques, c’est la figure de l’homme armé, dont toutes les déclinaisons peuvent se regrouper sous l’appellation désormais générique de « cow-boy ». Cet archétype renvoie à des principes esthétiques (il porte invariablement un chapeau et monte à cheval) et éthique (le port systématique de l’arme induit une relation spécifique entre les individus, fondée sur la force et la violence). John Wayne, filmé notamment par John Ford (La chevauchée fantastique, Rio Grande, La prisonnière du désert…) et Howard Hawks (Rio Bravo, 1959) ou Henri Hathaway (Cent dollars pour un shérif, 1969) est l’incarnation la plus iconique du cow boy cinématographique.
Scream © Les Films Number One
Final Girl et Scream Queen du film d’horreur
Si les femmes sont très absentes du genre western et la plupart du temps cantonnées à des rôles très stéréotypés (prostituées et institutrices), les personnages féminins sont constitutifs du cinéma d’horreur. À la fois victimes et tueuses (lorsqu’elles se retournent contre le monstre), les femmes et notamment les scream queens portent en elles les images et le son de la terreur. Les scream queens, victimes privilégiées du tueur ou du monstre trouvent leurs origines dès le début du cinéma parlant, avec des personnages (La fiancée de Frankenstein incarnée par Elsa Lanchester dans le film éponyme) et des actrices pionnières (Fay Wray par exemple, qui fit toute sa carrière comme reine de l’horreur et du fantastique, depuis ses premiers rôles parlants dans Docteur X, Les chasses du comte Zaroff et King Kong en 1932-1933).
Dès les années 70, un nouvel archétype se développe, en même temps que les mouvements féministes, celui de la Final Girl, théorisé par Carol Clover. Au départ passive (elle survit en fuyant et en hurlant, comme dans Massacre à la tronçonneuse, Tobe Hooper, 1974), elle se rebelle et devient active, attaquant le monstre pour défendre sa vie et celles de ses amis (comme dans Halloween, John Carpenter, 1978).
Dans les années 1990, la donne change avec Scream de Wes Craven, qui déplace la menace à l’intérieur du groupe d’amis jusqu’alors protecteur. La Final Girl doit désormais se battre contre tous, dans un climat de paranoïa où tout le monde peut être suspect. Aujourd’hui, la scream queen et la final girl ont évolué, transcendant les genres (au sens des gender studies), comme le personnage de Chris dans Get Out (Jordan Peele, 2017), et les générations (comme en témoigne l’évolution de Laurie Strode, héroïne du premier Halloween, devenue grand-mère dans la trilogie de 2018).
La femme vampire
Origines
Les origines de la femme vampire cinématographique sont à chercher du côté de la mythologie (avec les personnages de Lamia, reine de Libye et maîtresse de Zeus, et de Lilith qui aurait quitté le jardin d’Eden pour devenir succube) et de la littérature. Si l’on peut remonter au moins à la Renaissance, les femmes vampires arrivent dans la littérature occidentale par le biais de la poésie et des nouvelles dans les années 1820, puis chez Théophile Gautier (La morte amoureuse, 1836) et Sheridan Le Fanu, Carmilla, 1872).
Au cinéma
Au cinéma, la première « vamp » fut l’actrice américaine Theda Bara dans A fool there was de Frank Powell, 1915, dont le titre reprend les premiers mots du poème de Rudyard Kipling The Vampire, publié en 1897. La première vampire buveuse de sang est sans doute dans Vampyr, ou l’étrange aventure d’Allan Gray (1932), une adaptation de Carmilla réalisée par Carl Theodor Dreyer en Europe, puis dans Dracula’s daughter de Lambert Hillyer, 1936, film d’horreur classique produit par Universal sous le code Hays.
Theda Bara © A fool there was – Fox Film
A la fin des années 1950, le studio britannique Hammer profite du relâchement de la censure et décèle le potentiel sulfureux de l’histoire de Carmilla, ni mère, ni épouse, ni vierge, amante voluptueuse guidée par ses désirs lesbiens. C’est ainsi que la « trilogie Karnstein » (The Vampire Lovers, Lust for a Vampire, Twins of Evil) explore au début des années 1970 trois facettes du personnage de Carmilla, incarné par 3 actrices différentes.
Progressivement, la femme vampire, sans rien perdre de son potentiel sulfureux et parfois subversif, va quitter les ambiances gothiques des châteaux de la Hammer pour s’épanouir dans un environnement contemporain (Les lèvres rouges de Harry Kumel, 1971, avec Delphine Seyrig) et urbain (dans les rues de New York par exemple, dans Nadja de Michael Almareyda, 1994, The Addiction d’Abel Ferrara, 1995, ou Les prédateurs de Tony Scott, 1983).
Récemment, les films mettant en scène des femmes vampires redéfinissent les genres cinématographiques et renforcent la portée politique de ces personnages. Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d’Ariane Louis-Seize, 2023, s’inscrit davantage comme un teen movie, tandis que l’héroïne vampire de A Girl Walks Home Alone at Night d’Ana Lily Amirpour, 2014, devient une figure symbolique des oppressions faites aux femmes.
Retenons donc la complexité mais aussi l’efficacité des catégories génériques, à la fois pour fabriquer, regarder, partager et aimer un film, quelque que soit son genre !
1. Raphaëlle Moine, Les genres au cinéma, Armand Colin, 2005
2. « Institutrices et prostituées : les femmes dans le western classique hollywoodien », in CREMIEUX, Anne (dir.). Les Minorités dans le cinéma américain. Paris : CinémAction, Editions Charles Corlet, 2012.
3. Carol J. Clover, Men, Women, and Chain Saws, Princeton University Press, 26 mai 2015 (première édition en 1992)
Photo : Vampire humaniste cherche suicidaire consentant © Wayne Pitch / Shawn Pavlin