L’auteur est-il toujours maître de son œuvre ?
L’auteur est-il encore maître de son œuvre dans un environnement où les algorithmes et les résultats d’audience tendent à fortement influer sur la construction des récits et où la capacité d’attention du spectateur est de plus en plus réduite ? C’est l’une des questions que se sont posés les professionnels de la création et de la production réunis lors des Rencontres cinématographiques de l’ARP 2022, au Touquet.
Rendez-vous incontournable pour les professionnels du cinéma, cette 32ème édition des Rencontres des cinéastes de l’ARP, qui a eu lieu les 2, 3 et 4 novembre 2022, a porté haut la défense de la diversité culturelle et de la liberté de création, en posant les enjeux citoyens et philosophiques, tout en questionnant le rôle et les méthodes des pouvoirs publics pour garantir la souveraineté et la pluralité culturelle.
L’Acap était présent à double titre : accompagner les jeunes auteurs émergents de la région dans le cadre de La première des marches et rappeler la nécessité de l’éducation aux images dans cet écosystème de la création.
Retour sur la table ronde à laquelle a pris part notre directrice générale, Pauline Chasserieau.
« Imaginaires citoyens : l’auteur toujours maître de son œuvre ? Quel lien avec le citoyen ? », c’est ainsi qu’était intitulée la table ronde de ce vendredi 4 novembre, animée par Nathalie Marchak, vice-présidente de l’ARP et Anne Le Ny, membre du bureau de l’ARP.
Pour y répondre, l’ARP avait invité cinq personnalités aux profils différents : Xavier Rigault (producteur), Frédéric Farucci (auteur), Sylvie Chokron (neuropsychologue), Anna Longo (philosophe) et Pauline Chasserieau (pôle régional d’éducation aux images).
Crédit Photo © Susy Lagrange
Cette diversité des profils a fait tout le sel de cet échange qui a permis notamment de rappeler que les actions d’éducation aux images sont d’autant plus nécessaires aujourd’hui que tout un chacun se confronte aux réalités numériques de déhiérarchisation des images, de pratiques du multitasking, d’économie de l’attention.
Créer le désir des plus jeunes de porter sa concentration sur une œuvre, dans une salle de cinéma, pour une expérience partagée et discutée, c’est l’un des objectifs poursuivis par les dispositifs de sensibilisation au cinéma, d’autant plus important qu’il s’inscrit dans une urgence à défendre la création indépendante des logiques de rentabilité, ainsi qu’une culture diversifiée et un esprit critique pour les citoyens.
Quelques extraits des échanges que nous vous invitons à découvrir dans le replay
Frédéric Farucci : « Il y a un glissement sémantique ces dernières années qui est très troublant et culpabilisant pour les auteurs. On nous parle de contenu… qu’est-ce que ça veut dire le contenu ? Quand c’est une boîte de thon, ça devient du contenu, là je vois à peu près ce que c’est. (…) Je n’ai pas l’impression que ce soit le rôle de l’auteur de fournir du contenu et de s’adresser à un consommateur. (…) On n’est pas en train de calculer ce qu’un spectateur est censé aimer en fonction de ce qu’il a aimé auparavant. (….) L’algorithme ne traduit pas un désir, il traduit une pratique. »
Anna Longo : « On est en train de perdre ce qui est le vrai sens de la création. La création, l’œuvre d’art ou la connaissance, c’est quelque chose qui n’est pas réductible à de l’information. (…) L’information est quelque chose qui est obsolète tout de suite. Seule l’information nouvelle a une valeur : une information que tout le monde connaît n’a aucune valeur. On ne peut pas vendre une information que tout le monde connaît, donc il faut produire toujours des informations nouvelles. (…) Tandis que la valeur artistique est une valeur qui reste. »
Sylvie Chokron : « Là où Netflix va abolir votre capacité attentionnelle – l’ennemi de l’attention, ce sont les sollicitations multiples -, au cinéma, vous êtes en situation de monotâche. (…) La différence c’est que vous allez avoir du temps pour discuter, pour réfléchir, pour raisonner. Ce n’est pas du tout le cas des séries qui vont s’enchaîner et qui ne vous laissent pas la possibilité d’y penser, de stocker dans votre mémoire et d’en parler avec quelqu’un. (…) Le lobe frontal n’est plus sollicité. »
Xavier Rigault : « On doit s’interroger sur comment recréer le désir entre le public et les auteurs (…) C’est un peu ce qu’on cherche à faire quand on est producteur : savoir susciter le désir autour de l’imaginaire d’un auteur. On a peut-être un peu trop cédé à la facilité de ce qui se finançait facilement (…) On a moins les moyens d’être audacieux. »
Pauline Chasserieau : « Dans l’étude que nous avons menée sur Les images, les écrans et les jeunes en Hauts-de-France, on a interrogé les jeunes sur pourquoi ils ne vont pas plus au cinéma, en-dehors des dispositifs scolaires. Une des réponses qui revenait beaucoup, c’était « il n’y a pas de films pour nous ». On a à réfléchir sur ce paradoxe, parce que par exemple Certains l’aiment chaud, l’an passé dans Lycéens et apprentis au cinéma, a fait un carton auprès des ados (…) Ils aiment les films quand on les emmène les voir, mais ils ne les reconnaissent pas comme étant pour eux quand ils sortent le mercredi en salle. (….) C’est important de se dire que, quand ils découvrent ces films, le désir est là. »
Crédit Photo © Susy Lagrange