Portrait de Julie Moens : nouvelle figure de la production régionale
Avec sa série, Bouchon, tournée intégralement dans la Somme, Julie Moens, productrice exécutive à la Blogothèque, affirme son engagement pour des récits originaux profondément enracinés dans leur environnement régional. Dans cet entretien, elle revient sur son parcours, ses choix artistiques, et l’importance des Hauts-de-France dans son travail. Forte de deux séries sélectionnées à Séries Mania, elle poursuit son chemin avec enthousiasme et authenticité.
Vous avez commencé très tôt dans la production, juste après vos études et vous avez déjà un parcours très riche. La production audiovisuelle a-t-elle été tout de suite une vocation pour vous ?
Après des études de lettres et le conservatoire Camille Saint-Saëns à Paris, je voulais devenir comédienne et metteuse en scène. Cependant, un casting désastreux m’a décidée à passer de l’autre côté et éviter ce genre de désillusions. J’ai trouvé un stage chez Hélium Films comme assistante de production à 23 ans, et c’est là que tout a commencé. J’y ai beaucoup appris et j’ai pu y faire mes premiers cachets.
Ensuite, j’ai navigué durant plusieurs années entre différentes boîtes. J’ai fait de l’animation 2D avec Prima Linea Production, où j’ai notamment travaillé sur le long métrage Zarafa. J’ai également travaillé sur des émissions télévisées comme le Sidaction, Toute la musique qu’on aime ou Passage au vert sur Ushuaïa TV. J’ai rejoint Séquence 3 Productions comme directrice de production, puis Milgram, où je me suis spécialisée dans le spectacle vivant et la musique. Je m’occupais de la captation d’émissions musicales, de clips, etc.
Et j’ai atterri à la Blogothèque (ndlr : société de production audiovisuelle basée à Paris depuis 2003, spécialisée initialement dans la musique), d’abord comme directrice de production, toujours dans la musique et le spectacle vivant, puis ils m’ont donné la possibilité de développer l’unité fiction (ndlr : appelée Filmance) en tant que productrice exécutive. Ça fait maintenant 8 ans.
En tant que productrice exécutive, comment choisissez-vous les projets que vous accompagnez ?
À la Blogothèque, nous avons défini notre ligne éditoriale de la fiction par ce qu’on ne veut pas faire : pas de violence, horreur, ni fantastique. Nous privilégions les sujets sociaux. C’est ce qui nous anime le plus. Nous ne sommes pas contre défendre des projets de thriller ou de guerre, à condition qu’on sente quelque chose qui nous porte.
Pour ma part, je fonctionne beaucoup aux coups de cœur, lisant 5 à 10 projets par semaine et assistant à des festivals pour rencontrer les auteurs. Une fois que j’ai le coup de cœur, je développe un peu plus le projet avec les auteurs et puis je réfléchis à qui ça s’adresse, en termes de diffuseurs et d’audience. Les diffuseurs ont différentes entrées qui s’adressent à différents publics. Il faut donc savoir à qui on s’adresse. C’est vraiment très important.
Nous signons une option et j’ai 10 à 18 mois pour vendre le projet ou plutôt le développement, ce qui va me permettre de lancer l’écriture avec les auteurs et d’aller chercher des fonds en vue de la production.
Je reçois souvent des projets avec des concepts forts et radicaux. Je pense que c’est parce que j’ai commencé par ce type de formats (ndlr : notamment 18h30, une mini-série tournée uniquement en plans séquences) ! Plus j’avance, plus mon œil s’affine, et je redirige ceux que je ne peux pas défendre efficacement. Actuellement, je développe des projets comme Georges est parti d’Elodie Wallace et Déborah Grundman et un projet sur la dépersonnalisation en psychiatrie avec Julie Bargeton.
Votre dernière production, Bouchon, a été tournée entièrement dans la Somme et plus particulièrement à Amiens. Pourquoi ce choix ? Y a-t-il des avantages à tourner en région Hauts-de-France ?
La diversité des décors, la qualité des équipes techniques et la proximité avec Paris rendent la région idéale. Amiens s’est imposée aussi par commodité personnelle et professionnelle. Le chef opérateur, ayant étudié à Amiens, était enthousiaste. Nous avons été également bien soutenus par Gauthier Manot des Malandrins et des Faquins (ndlr : sociétés amiénoises de production et d’accompagnement audiovisuel), ce qui a facilité le tournage.
Habiter Amiens et travailler à Paris me permet de participer au développement audiovisuel en Hauts-de-France.
Travailler ici m’a fait découvrir des associations comme Rhizom, un réseau d’entraide entre producteurs indépendants, et la SAFIR pour les cinéastes. Ces réseaux me permettent de prendre un peu de distance avec mon travail et de trouver rapidement des solutions là où j’aurais mis bien plus de temps en étant seule. Dans ces réseaux, il y a différentes générations, différents genres, ce qui rend les échanges très riches et le soutien précieux.
Pourquoi avoir choisi la fiction sérielle ?
J’ai commencé la fiction sérielle car mon boss, malade, m’a confié deux projets : 18h30 et Replay, deux séries courtes en plans séquences, tournées respectivement en Nouvelle-Aquitaine et Hauts-de-France.
Bien que j’avais déjà une expérience en production de court métrage, j’ai choisi de continuer avec le format sériel pour plusieurs raisons. Ce format permet de dénicher de nouveaux talents et de faire un pas de côté par rapport à ce qui est attendu dans le paysage audiovisuel actuel. L’unité création numérique d’Arte, qui soutient des formats de moins de 20 minutes, nous permet d’être créatifs tout en maîtrisant les risques financiers. J’ai le sentiment que c’est un très bon tremplin que ce soit pour les producteurs ou pour les jeunes talents : on s’essaie ensemble à l’exercice et on peut envisager ensuite de s’accompagner au long cours.
Quels sont vos projets actuels ou à venir ?
En ce moment, je travaille sur le développement de trois séries longues qui seront financées par des diffuseurs comme HBO, Disney, Netflix et Canal +. On est vraiment sur un autre pan de la sérialité. Ces projets nécessitent une planification de 5 à 6 ans. J’ai toujours dans l’idée de faire au moins un format court par an, mais aussi d’arriver à faire du long en parallèle.
Je poursuis également du côté cinéma en produisant des courts métrages, comme Milkshake de Lisa Blum, avec l’objectif de les accompagner vers des longs métrages. Nous avons aussi reçu une aide à la réalisation du CNC pour un moyen métrage d’Ilan J. Cohen et Paul Walker, prévu pour être tourné entre les Hauts-de-France et la région parisienne cet automne.
Moi, je rêve de faire du long métrage de cinéma ! Mais je pense que je n’y arriverai pas toute seule et j’espère pouvoir être accompagnée par des boîtes de production que j’admire comme Envie de Tempête production. J’adore ce qu’ils font et j’aimerais un jour arriver à faire des films comme eux, alors autant le faire avec eux !
Est-ce que vous vous donnez une limite, un quota ? Jusqu’à combien de projets en même temps vous pouvez suivre ?
Aujourd’hui la limite, on y est déjà ! Je suis actuellement impliquée dans huit projets simultanément : un projet de série en diffusion (Bouchon), un court métrage en festivals, un moyen métrage à tourner, trois projets de séries longues, et deux projets de séries courtes en développement.
Ce qui est difficile, c’est la création de séries longues. C’est un processus long, de l’écriture à la diffusion, cela prend environ 6 ans. Ce qui signifie qu’aujourd’hui, il faut être assez visionnaire pour répondre à une exigence éditoriale qui aura lieu dans 6 ans !
En conséquence, je ne peux plus accepter de nouveaux projets pour l’instant, malgré les coups de cœur que je pourrais avoir.
Malgré ce planning bien chargé, vous prenez de votre temps pour transmettre votre goût pour votre métier. Auprès notamment du Tremplin du Series Mania Institute, qui accompagne des jeunes de 18 à 25 ans dans la découverte des métiers de la création sérielle. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je m’en suis sortie toute seule dans ce métier. J’aurais aimé avoir ces conseils plus tôt dans ma carrière, donc je trouve important de partager mon expérience pour aider ces jeunes à persévérer. Je trouve ça hyper important, parce que très vite on peut baisser les bras. Ça reste un milieu génial et aussi un milieu de requins.
En plus, je rencontre des gens extraordinaires dans ces formations qui m’apportent autant que je leur apporte. Cette année, cinq membres du Tremplin viendront sur mon prochain tournage. C’est génial de voir des yeux qui brillent et qui pétillent comme les leurs.
Développer des talents, ce n’est pas uniquement former des scénaristes et réalisateurs, mais aussi tous les métiers techniques de la production.
Et puis, j’aime ça transmettre. Je trouve ça très riche. L’exercice est difficile, mais c’est tellement nourrissant. Oui, j’ai envie de continuer, au sein de festivals ou de masterclass qu’on va monter avec des amis. Il y a plein de petites choses qu’on va faire dans ce sens !
Pour finir, quelle série vous a marquée récemment ?
Tout va bien de Camille de Castelnau m’a particulièrement impressionnée. C’est une série rare en France, alliant tristesse et joie avec une écriture sensible et un casting exceptionnel. Camille de Castelnau, qui a eu une expérience importante sur la série d’Eric Rochant, Le bureau des légendes, a réussi, à mêler intimisme et grand public, faisant de cette série une découverte incontournable.
Les projets de Julie Moens en cours de production :
- Au Fond Du Trou – en tournage – de Maxime Chamoux et Sylvain Gouverneur – Arte France
- Georges est parti – en développement – d’Elodie Wallace et Déborah Grundman
- Frater – en développement – de Matthias Castegnaro, Emilie Neyme, Christophe Lemoine
- Ma Biche – en développement – de Louis Paul et Morgane Maurel
- Bonne – en développement – de Julie Barbotent
- Alaska – en production – d’Ilan J. Cohen et Paul Walker
- Milkshake – en circulation en festivals – de Lisa Blum
- Le retour de la momie – en développement – de Richard Palm