À l’aune de cette nouvelle année, Godefroy Vujicic, directeur général de Pictanovo, débriefe pour nous sur la plus grosse tempête que l’industrie cinématographique ait jamais affrontée et livre sa vision de la situation en région.
Que peut-on retenir de cette année si particulière en ce qui concerne la création cinéma en région ?
L’activité s’est plutôt bien maintenue en 2020. Notre bureau d’accueil de tournages a repris très vite après le premier confinement, aux côtés des acteurs de l’écosystème avec 7 tournages de longs métrages et 15 fictions télé. Certes, c’est moins important qu’en 2019 où il y avait eu 15 tournages de longs métrages et 21 fictions télé. L’interruption des tournages n’a finalement duré que le temps du premier confinement. Et heureusement, il y avait le fond de garantie du CNC qui a permis d’assurer les tournages en cas d’arrêt dû aux contaminations. Ce sont surtout des séries audiovisuelles qui ont été impactées et qui ont dû s’interrompre comme Les rivières pourpres.
En parallèle durant cette période, l’intégralité des comités pour les aides que nous attribuons en écriture, développement et production, tels qu’ils étaient initialement prévus, a été maintenue. Nous avons aidé 230 projets en 2020.
Observez-vous une mobilité des tournages ?
Pas du tout, au contraire. Les Américains par exemple ne viennent plus en Europe. Tout le monde s’est refermé. Ce sont surtout les plans de travail des tournages qui ont été revus en fonction des différentes annonces gouvernementales concernant la crise sanitaire. On constate que les productions et l’ensemble de l’écosystème se sont extrêmement bien adaptés en mettant en place des référents COVID, en respectant l’ensemble des gestes barrières et en opérant des campagnes de tests réguliers pour s’assurer de la non-contamination de l’ensemble des acteurs des tournages.
Pour 2021, les demandes de tournage sont-elles ralenties ? Moins nombreuses ?
Toutes les demandes sont maintenues. Les prochains comités ont d’ailleurs des ordres du jour denses. La problématique qui se pose est le maintien ou non de la fermeture des salles de cinéma. C’est ce qui génère un embouteillage plus que significatif pour la sortie des films avec des calendriers de reports en salle importants. Les films continuent à être produits même si a priori les tournages vont ralentir. Les distributeurs ne vont pas avoir à la fois les fonds pour des films déjà dans les tiroirs de 2020 et faire des avances de trésorerie pour les nouvelles productions sans savoir comment le marché va reprendre.
Qu’en est-il du nombre de sorties de films pour 2021 et 2022 ? Peut-on craindre une pénurie ?
A l’échelle de la région, on a déjà soutenu plusieurs films en 2019 qui ne sont pas sortis en 2020 comme Cette musique ne joue pour personne de Samuel Benchetrit, Les Illusions perdues de Xavier Giannoli, Madeleine Collins d’Antoine Barraud, d’autres ont été tournés en 2020 : Si on chantait de Fabrice Maruca, Un hiver en été de Laetitia Masson… France de Bruno Dumont qui était annoncé pour le festival de Cannes 2020 ne sortirait a priori que fin 2021. En fait, on est surtout sur des temporalités qui se décalent extrêmement fortement et je ne parle que des projets régionaux, sans parler de ceux nationaux, avec des films américains tels que Matrix 4, Dune, James Bond, le nouveau Top Gun…
Non le stock de films est trop important. Nous ne sommes pas dans une dynamique culturelle et créative qui n’a pas de dimension économique. Celle-ci est constitutive de notre écosystème. Les deux mois et demi d’interruption des tournages a été plus courte que la fermeture des salles, donc cela ne se ressentira pas ou peu. En revanche les salles, elles sont fermées depuis quasiment six mois. Or une sortie de film ne se décrète pas du jour au lendemain, elle se prépare. D’ailleurs les producteurs estiment cette promotion à deux mois pour qu’elle soit faite correctement. Ce qui va se passer, c’est qu’il va certainement y avoir une compression temporelle du temps d’exposition d’un film sans pour autant qu’elle soit trop rapide. Par exemple, le film de Gabriel Le Bomin, De Gaulle, qui est sorti en salle juste avant le premier confinement, a bénéficié d’un temps d’exposition très court, mais a pu sortir en VOD plus rapidement. On a vu la polémique autour de Mulan qui a été diffusé directement sur les plateformes de streaming. La chronologie des médias se pose. La déclinaison de la directive SMA va arriver en ce début d’année sur les engagements justement que devront prendre les plateformes dans l’investissement sur la production européenne et nationale. C’est un des enjeux majeurs de 2021.
Comment l’écosystème de professionnels avec lequel vous travaillez résistent-ils à la crise ?
Les techniciens du cinéma et de l’audiovisuel résistent plutôt bien, car il y a dans un premier temps le statut de l’intermittence et d’autre part, parce que beaucoup de projets ont repris et ont pu se terminer, et d’autres qui avaient bénéficié d’aides, ont pu démarrer. En juin dernier, tout avait repris doucement mais à partir de septembre, la charge de travail était lourde pour l’ensemble de ces techniciens, à tel point que les producteurs avaient du mal à recruter d’autres techniciens sur le territoire régional. Le plein emploi était quasiment généralisé dans notre secteur. Il y a eu tout de même des à-coups dus aux contaminations sur les tournages. Si la fermeture des salles perdure, nous aurons peut-être besoin de travailler davantage sur la production de séries télé car le petit écran va davantage être en demande je pense.
On a reçu beaucoup plus de projets en écriture et en développement car les producteurs et auteurs étant bloqués, ils ont consacré plus de temps à l’écriture. Les auteurs ont beaucoup travaillé pendant la crise, mais ne bénéficient pas d’un système aussi protecteur que l’intermittence. Certains sont en grande difficulté. Nous y sommes d’ailleurs très sensibles. En 2020, nous avons aidé 10% de projets en plus (230). C’est une des conséquences également de la volonté de la Région Hauts-de-France qui depuis 2017 a multiplié par deux le budget alloué à l’investissement de l’ensemble du secteur.
Nous avons également adapté notre offre d’accompagnement des entreprises de la filière aux salons et marchés professionnels, qui se sont tenus de manière dématérialisée. Ces événements sont, pour les entreprises de la région, des occasions de rencontres et d’affaires, indispensables à leur développement. Il nous a paru essentiel de continuer à leur permettre d’en bénéficier, même sous cette forme numérique, certes un peu moins conviviale !
Quelles sont vos perspectives pour 2021 ?
Nous allons continuer le travail d’adaptabilité et d’efficience au plus près des besoins des acteurs du territoire. Nous allons poursuivre le développement de nouveaux fonds d’aide avec la création d’une nouvelle partie dans le fonds Émergence pour la vidéo musique et un nouveau fonds pour les vidéastes afin de toucher un public plus jeune. Nous accompagnons la formation professionnelle du secteur qui va devoir certainement s’adapter, notamment avec cette déclinaison de la directive SMA. Nous avons également pour projet de travailler autour du dispositif La première des marches de l’Acap et de notre fonds Émergence.
Nous travaillons au développement d’une plateforme régionale qui permettra à tous de disposer d’un catalogue des œuvres soutenues en région. La vie des projets est furtive et l’idée est d’imaginer un modèle pertinent en les visibilisant davantage. Cela se fait en co-construction avec les diffuseurs comme les chaines BFM Grand Lille, BFM Grand Littoral et Wéo et les laboratoires de recherche et développement sur le territoire par rapport à différents axes d’optimisation. On en est au stade d’ébauche, c’est un travail à long terme. Cela permettrait aux acteurs comme l’éducation nationale ou l’Acap de faire de l’éducation aux images ou de l’éducation autour de ces œuvres. Cela permettrait aussi de renforcer un sentiment d’appartenance ou de fierté par rapport aux projets réalisés en région.
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